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Fabienne Agnès LEVINE
Fabienne Agnès LEVINE
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11 mai 2012

Deux livres pour mieux respecter le jeu de l'enfant

Voyage au coeur de la motivation des bébés

Références :

POURQUOI LES BEBES JOUENT. Laurence Rameau, Erès

À LA CRECHE. IL ETAIT UNE FOIS… Laurence Rameau, TPMA

Derrière un titre un brin provocateur « Pourquoi les bébés jouent ? et des questions innocentes à chaque chapître, comme "Pourquoi les bébés collent les gommettes sur la table ?", "Pourquoi les bébés  montent sur le tobbogan à l’envers ?" ou "Pourquoi les bébés aiment jouer avec les pigeons ?", le livre cible son sujet dès l’introduction : il s’agit en fait de parler des modalités d’apprentissage pendant les premières années de la vie.

Laurence Rameau précise dans l’introduction, après avoir rappelé l’évolution du regard et des connaissances sur les premières annnées de la vie, que « demander à l’enfant de suivre des activités d’apprentissage en utilisant le jeu comme pour l’appater est un contresens qui s’avère également contre-productif. Le jeu du petit est libre et gratuit, il est plaisir avant tout. Il n’est pourtant pas inutile car il est la manifestation visible de l’imagination et de l’apprentissage du jeune enfant. »

Ensuite, chaque chapître, thème par thème, mêle efficacement observation des enfants en situation, références théoriques, regard critique sur les pratiques professionnelles et idées concrètes pour enrichir le jeu.

Quelques éléments à retenir pour aider à bien penser les bonnes conditions de jeu en collectivité :

La patouille : Lorsque les bébés malaxent, jettent, écrasent, ils ne sont pas dans une agitation désordonnée mais au contraire accumulent une série d’expériences au service de leur compréhension du monde. A force de tâtonner, de recommencer, de comparer avec ce que fait un autre enfant ou avec le résultat de la même action sur un matériau différent, les tout-petits découvrent une par une les principales lois de la physique. L’eau, le sable, la terre, la pâte à modeler et autres matières sensorielles sont de formidables supports qui, tout en faisant accepter au jeune enfant de jouer de moins en moins avec la nourriture, le guident vers une pensée de plus en plus organisée.

Les cartons : Qui regarde attentivement a remarqué qu’il n’est pas rare que les cartons et d’autres  éléments du quotidien soient investis par les enfants comme des objets ludiques non identifiés bien plus intéressants que des jouets aux notices pleines de promesses d’éveil et d’apprentissage. Les tout-petits préfèrent souvent l'emballage et d'autres "objets plus neutres, qui présentent l'avantage de pouvoir correspondre à leur univers imaginaire" à un jouet trop sophistiqué. Les fabricants ont tendance à standardiser les besoins et les désirs de l'enfant, sans prendre en compte ce vent de liberté et d'inventivité qui les habitent. 

Le tobbogan : Sans sous-estimer les règles élémentaires de sécurité physique, il est intéressant de mettre en regard la détermination des enfants à aborder une tobbogan ou une structure de motricité plus complète sous différents angles (échelle, pente etc) et de différentes manières (assis, allongé etc) avec la bonne conscience de l'adulte qui veut lui apprendre à respecter le "bon" sens de circulation et à glisser assis, en se tenant bien et sage comme une image. L'auteur rappelle que la motricité est "une forme de liberté permettant l'exploration du corps et la construction des connaissances". 

Les gommettes : Difficile de savoir si les enfants apprécient vraiment cette activité ludique, tant que les professionnels s'appliquent à les asseoir autour d'une table, chacun devant sa feuille, avec ses petits doigts s'énervant après chaque gommette qui lui résiste ou avec un adulte qui dans sa grande bonté lui présente une gommette déjà décollée. À trop vouloir bien faire, ne risque-t-on pas de passer à côté de la démarche exploratoire à l'origine de tout plaisir et de tout apprentissage ? Il en sera de même la première fois que le jeune enfant découvrira des dominos ou des briques de construction : il commencera par les aligner, les regrouper ou les disperser avant de s'intéresser au projet de l'adulte, suivre les règles de jeu ou construire une tour. 

Les crayons : Mettre le crayon à la bouche, marcher dessus, le glisser au bord de la table jusqu'à ce qu'il fasse un petit bruit en tombant, certes ce n'est pas encore dessiner mais c'est peut-être déjà jouer. Avec les crayons, il y a des expériences incontournables à faire avant de découvrir la trace laissée sur la feuille. Mais à peine l'enfant a-t-il commencé à griffonner que professionnels et parents se mettent à communiquer autour de ses réalisations,  de ce qu'elles représentent et même de ce qu'elles signifient. Dommage car ce qui compte le plus, c'est "le chemin que l'enfant emprunte dans ses apprentissages, non ce qu'il produit". 

Les pigeons : Qui n'a pas subi cette déconvenue d'emmener les enfants au zoo découvrir des animaux de l'autre bout du monde et de s'apercevoir que la seule bête qui captive l'intérêt du bébé, c'est la fourmi, la mouche ou le pigeon qui s'approche de sa poussette ou après lequel il peut courir ! Dans l'allée du zoo ou dans un autre espace, l'aventure est au bout du chemin, pourvu que l'enfant soit acteur de ce qui se passe et engage sa motricité pour comprendre les va et vient des êtres vivants qui l'entourent. L'extraordinaire n'est pas toujours là ou l'adulte croit. En collectivité, rappelons-nous de ces séances de diapositives qui permettaint aux enfants, à tour de rôle, de se confronter, debout, dans la pénombre, à la stature des animaux projetés, déclenchant de vives émotions et de grandes découvertes. 

Les cachettes : Jeu universel surtout associé au besoin de reproduire symboliquement l'absence et la présence du parent, en étant le déclencheur d’autres apparitions et disparitions, cette activité décèle d'autres richesses. Se cacher les yeux derrière les mains, repérer un recoin où se glisser, insérer une petite boîte dans une plus grande, autant d'occasions pour les bébés "d'essayer de comprendre comment les personnes et les objets fonctionnent". C'est pour cette raison que "même si cela fait un peu de bazar dans les salles de jeux, la circulation des objets est souvent génératrice de nouvelles expériences et donc de nouveaux apprentissages".  

Je laisse de côté le dernier chapître « Pourquoi les bébés aiment la télévision ? » qui est un sujet trop sérieux pour être évoqué rapidement. Je préfère compléter cette note de lecture avec le commentaire d’un autre livre de Laurence Rameau, au titre prometteur de belles histoires.

Dans "À la crèche. il était une fois... ", c'est par le biais des aventures de Léo que plusieurs questions de professionnels et de parents sont abordées et parmi elles, à plusieurs reprises, la place du jeu dans sa journée de crèche.

 

bb jouentalacreche

 

 

Léo bouge : Au delà de sa fonction essentielle de libération de l’énergie et de possibilités de s’approprier l’espace, la motricité offre une excellente occasion d’aller à la rencontre des autres. Des interventions trop rigides ou trop protectrices freinent ce lieu riche en conduites exploratoires et en interactions sociales qu'est la structure de motricité.

Léo fait des activités : Si le professionnel se montre attentif à la démarche spontanée de l’enfant, il établira facilement une différence qualitative entre vouloir « accompagner de l’enfant dans ses découvertes au travers du jeu » et décider de lui « faire faire des activités ». Tout s’éclaire lorsqu’il prendra conscience de l’importance du cadre, c’est-à-dire de l‘ensemble des modalités qui régissent la place du matériel, l’emplacement des adultes et les autres critères d’intervention.

Léo patauge : Si sa mise en place ne demandait pas autant de précautions et autant de manutentions, les jeux d'eau devraient être un moment de découverte proposé quotidiennement en collectivité car pour les tout-petits, c'est une véritable occasion d’« harmonie entre sécurité et aventure » enrichie par la présence d'autres enfants. De plus l’eau, dans une pataugeoire bien équipée ou dans des bassines installées sur le sol, est impossible à classer du côté des jeux libres ou des activités dirigées. « Avec l’eau difficile de passer commande : rien à construire, rien à produire, rien à fournir et à la fin il ne reste rien d’autre que le plaisir pris et partagé ».

Léo dessine : Si dessiner commence par prendre en main un crayon pour se promener sur une feuille au gré de son plaisir, si dessiner consiste à découvrir le résultat de son geste et la trace laissée sur son passage par le crayon, il devient alors difficile de féliciter l’auteur de ces productions graphiques et de l’inciter à faire plaisir à papa ou maman qui tiennent à conserver chaque œuvre signée. Alors enfin, les feuilles deviennent des lieux d’expression, parfois personnels, parfois partagés selon l’improvisation et les transactions des enfants entre eux. En renonçant au dessin beau et fini, signé et daté, prêt à offrir, les professionnels pourront simplement dire ou penser : « Chut. Moi je sais que tu as pris du plaisir à faire une chose importante et que cela s’appelle jouer avec des crayons et des feuilles, et que c’était drôlement rigolo. »

Ce livre propose une notion clé à mettre au centre de pratiques professionnelles centrées sur la démarche créative spontanée du tout-petit, celle d'"itinérance ludique". En s’appuyant sur le concept d’intelligence sensori-motrice développée par le psychologue Jean Piaget, Laurence Rameau rappelle que  « le mouvement est nécessaire aux apprentissages du tout-petit » et que « l’enfant apprend en faisant ». Elle souhaite que l’enfant puisse « être un itinérant du ludique, choisir son chemin dans un agencement d’activités ludiques réfléchis par une équipe professionnelle » et propose le terme « itinérance ludique » pour décrire une pédagogie qui « donne au jeune enfant la possibilité de jouer, tout en le laissant se déplacer ».

Deux chapîtres sont ensuite consacrées à des contresens couramment rencontrées en crèche, l'un du côté des parents, l'autre du côté des professionnels.

Travaille bien, mon chéri : Les parents qui disent tous les matins cette petite phrase encourageante à leur enfant de moins de 3 ans sont tout excusés de ne pas bien distinguer la fonction de la crèche et celle de l’école maternelle. Ils ne sont pas obligés de savoir à quel point le jeu est une activité sérieuse, en quelque sorte le travail de l’enfant et de ce fait « à la fois moteur et témoin du développement ». Lorsqu’en plus, chaque jour, les professionnels leur met de côté de nombreuses productions manuelles, ils sont entretenus dans l’idéalisation d’activités d’apprentissage et d’exercices ludiques, plus importantes que le jeu. C'est plutôt aux professionnels qu'il appartient de valoriser la démarche créative de l’enfant « par une réflexion collective approfondie pour mettre en place une écologie résidentielle qui donne à l’enfant des nourritures affectives et des nourritures ludiques ».

Faux libre choix : En examinant cette situation, l’auteur continue à analyser la vie de la crèche en se plaçant du point de vue de la pensée du tout-petit. Par exemple, lorsque les professionnels croient respecter la liberté de l’enfant en annonçant plusieurs activités parmi lesquelles faire son choix en pleine connaissance  « car une fois l’activité débutée, il lui sera difficile de modifier son choix. Comment se projeter, si petit, dans ce proche avenir ? Quels critères sélectionne-t-il pour faire son choix ? » Encore une fois, il faut s'interroger sur cette logique d’adulte qui tend à cloisonner le temps en activités bien distinctes plutôt que se concentrer sur le jeu initié par l’enfant, porte ouverte à des moments de découvertes actives mais aussi de joyeux désordres.

Après ces deux lectures, les professionnel(le)s de terrain devraient être tentées de dire "Pouce on recommence" et impatient(e)s de réexaminer en équipe les véritables critères de qualité du jeu en collectivité. Tout un programme !

 

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